Le bois froid est plein de brume tendre
Après telle nuit avec du gel!
Profondément, l'automne se cache
Ce qu'il a eu cette nuit, et telle
Est sa grande solitude qu’il tâche
De s’enfermer dans son château.
Que la pluie fasse rage aux fourrés!
Que les nuits soient pluvieuses et sombres!
Que les yeux des loups brillent dans l’ombre
D’un feu vert aux bois, sur les prés!
Le bois est, comme sans surveillance,
Un château noir et tout déteint,
Et le septembre fait sa danse,
Il lui enlève le toit. Enfin,
Il couvre l'entrée de feuilles mortes
Et des gelées précoces qu’il porte
Commencent à fondre, en tuant tout…
Loin dans les champs vides, des cors sonnent,
Et on entend leur chant partout
Comme un cri triste et monotone
Aux champs où règne le froid de loup.
Le bruit des arbres dans la plaine
Se perd très loin au fond des bois,
Un cor de Turin, hurlant, mène
Les chiens de chasse vers leur proie,
Le chahut des chiens qui aboient
Sonne comme une tempête qu’on déchaîne.
Il pleut, il fait froid, comme s’il gèle,
Des feuilles jaunes tombent sur les clairières,
Et au-dessus du bois, les dernières
Oies battent, en s’envolant, des ailes.
Les jours passent. Des fumées fragiles
Se lèvent debout chaque matinée.
Le bois est pourpe et immobile,
Le sol givré semble argenté.
Et dans son beau manteau d’hermine,
Avec un pâle visage lavé,
Quand son dernier jour le fascine,
L'Automne sort par la porte d’entrée.
La cour froide est vide. De la porte,
Parmi deux trembles desséchés,
Loin, il voit le bleu des vallées
Et le désert d’une tourbière morte.
Il en voit la route vers le Sud:
Là, se sauvant de l’hiver rude,
Du froid, de la neige, des tempêtes,
Dès le matin, l'Automne se jette;
Suivant les oiseaux, il ira
Au Sud, par son chemin solitaire,
Et, dans le bois vide, il quittera
Son beau château sur la clairière.
Pardon, cher bois! Pardon, adieu!
Le jour sera doux. La nouvelle
Neige va argenter, blanche et belle,
Des champs déserts et silencieux.
Ce jour, le bois vide est bizarre
Comme un château tout en blanc froid
Qui ce jour-là partout, s’empare
Des villages calmes sur les toits,
Et du ciel bleu où, sans frontières,
Les champs vides sans fin disparaissent!
Des zibelines, des martres se laissent
Jouer sur les prés aux congères!
Elles vont courir et gambader
Sur la neige douce pour se chauffer!
Et là, comme si un sorcier danse,
Les vents s’engouffrent dans le bois,
Venus de l'océan immense
Avec la neige de la Toundra.
Ils hurlent comme une bête sauvage,
Détruisent le vieux château en rage,
Et il n’en reste que des pieux.
Sur ce squelette défectueux,
Ils accrocheront des gelées blanches,
Et des palais, sous le ciel bleu,
Brilleront d’argent, parmi les branches,
Et de cristaux miraculeux.
La nuit, ces beaux dessins blancs restent
Et les feux brillent des voûtes célestes.
À cette heure calme, les Pléiades
Lancent du haut la lumière glaciale.
Cet incendie, dans la nuit froide,
Allume les aurores boréales.
***
Pas de soleil, mais les étangs
Sont clairs comme de grands miroirs lisses
Et les bassins d’eau, sans mouvement,
Paraissent vides mais les reflets glissent
De beaux jardins comme là-dedans.
Une goutte, tout comme la tête d’un clou,
Tombe et des aiguilles, par centaines,
Sillonnent sur les étangs. Partout
La pluie brillante saute sur la plaine,
Fait du bruit au jardin surtout.
Le vent mêle des plantes quand il pleut,
Jouant avec des feuilles tremblantes.
Les rayons solaires mettent du feu
À des étincelles frémissantes
En remplissant des mares de bleu.
Voilà l’arc-en-ciel… On est gai
Qu’on y vive et qu’on réfléchisse
Au ciel et aux blés qui mûrissent,
Au petit bonheur pour l’apprécier.
On est gai de rôder nue-tête
Et de voir des enfants répandre
Le sable d’or dans la gloriette –
Pas d’autre bonheur à attendre!
Au carrefour du destin
Au carrefour où un vieux champ s’enfonce
Au loin, un corbeau est sur la croix.
La steppe libre s’est couverte de ronces;
Dans l’herbe, en rouille, il y a un pavois.
Au carrefour, une inscription fatale
Est tracée: “Si tu prends le chemin droit,
Tu auras des maux jusqu’à la dalle
Funèbre; à peine viens-tu par cette voie.
Tu restes sans cheval, si tu vas à droite,
Tu te traîneras à peine seul et nu.
Celui qui va à gauche à la hâte,
Mourra vite dans des champs inconnus”.
J’ai peur; au loin, des tombeaux se tiennent –
Le passé dort d’un somme éternel.
“Et la voie dans la contrée lointaine?
Montre-la, corbeau, noir aux ailes!”
Le midi somnole et sur les sentes,
Les os pourissent dans l’herbe. Et je vois
Trois voies là, dans la plaine jaunissante:
Où, comment aller et par quelle voie?
Où est le bout de la plaine immense?
Qui fait peur à mon cheval? Et du loin
Bleu, qui m’appelle en profond silence
Avec la voix d’un vrai être humain?
Je suis seul au champ. La vie m’appelle
Hardiment, la mort regarde aux yeux…
Sur la croix, le corbeau noir sommeille,
Sombre et grave – et personne dans ce lieu.
Là-haut, sur les neiges blanches d’un faîte,
Avec une lame, j’ai tracé un sonnet.
Les jours passaient. Peut-être, ma trace faite
Reste à présent dans les neiges au sommet.
Là où les cieux sont bleus de couleur nette,