Que ce mot, toutefois, ne cause pas d’illusion. Pouchkine n’a jamais rien écrit pour la scène, pour la représentation théâtrale; il a seulement donné à quelques sujets la forme dialoguée, la forme dramatique. Tel est, en première ligne, «Boris Godounoff». C’est un drame historique évidemment. Et pourtant il ne porte pas ce titre; il n’est pas divisé en actes, pas même en scènes. Les fragments qui le composent, dans l’ordre des dates et des événements, forment comme les chapitres d’une chronique en dialogue. Ces chapitres sont généralement écrits en vers, en vers blancs non rimés, tels qu’on les trouve dans le grec ou le latin, ainsi que dans les idiomes modernes qui ont les accents poétiques, l’allemand ou l’anglais. Cependant plusieurs de ces chapitres sont écrits en prose, lorsque cette forme convient mieux au dialogue devenu familier et trivial. L’un d’eux, par exception, est écrit en petits vers rimés, pour donner à une causerie de femmes plus de grâce et de coquetterie. Nous aurons soin d’indiquer ces changements de forme en tête de chaque scène. Le drame de «Boris Godounoff» fut composé en 1825, et publié peu de temps après. Quel étonnement ce dut être parmi tous les Russes lettrés, de voir un jeune homme de vingt-cinq ans s’élever tout à coup à la forme de Shakespeare dans ses drames chroniques, lorsqu’à peine commençait de poindre en Europe ce qu’on a nommé la fièvre shakespearienne, c’est-à-dire la connaissance et l’imitation du grand dramaturge anglais! Mais la surprise, il faut l’avouer, fut d’abord plus grande que l’admiration; «Boris Godounoff» n’eut pas un succès d’éclat, et les compatriotes de Pouchkine ne lui rendirent pleine justice qu’après que l’Europe entière eut, un peu plus tard, connu et adopté cette forme de poésie, mi-partie d’histoire et de drame.